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frédéric rouvillois - Page 9

  • Apocalypse du progrès...

    Les éditions Perspectives libres viennent de publier Apocalypse du progrès, un essai de Pierre de La Coste, préfacé par Frédéric Rouvillois. Ancien journaliste au Figaro et à Valeurs actuelles, Pierre de La Coste travaille actuellement à la direction de la Recherche d’un grand groupe français du numérique.

     

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    " D’Hiroshima aux OGM, de Tchernobyl aux fichages numériques des populations, de Fukushima au changement climatique, le Progrès nous inquiète. De l’extase progressiste de Jules Verne et de Victor Hugo, il ne nous reste rien, sinon une vague angoisse. Le moment est de toute évidence venu de se dire que le Progrès, comme mouvement inéluctable de l’Humanité vers le Bien, qui fut peut être une religion de substitution, est devenu un rêve aujourd’hui transformé en cauchemar.

    Devant la crise de la croyance dans le Progrès, il faut s’interroger sur notre dernier grand récit. D’où nous vient cette croyance aussi inébranlable que notre foi religieuse d’antan ? Pourquoi s’inverse-t-elle sous nos yeux ? Vers quelle catastrophe peut-elle nous conduire ?

    Constater la faillite du Progrès-croyance, c’est s’attaquer au mythe fondateur de la modernité, clé de la domination de l’Occident sur le reste du monde.

    Cet ouvrage propose une lecture nouvelle du Progrès. L’ADN du Progrès comme la plupart des grands récits de l’Occident se trouve dans le christianisme et dans les soubresauts de la pensée chrétienne à travers les siècles depuis saint Augustin.  C’est à travers cette histoire revisitée que l’auteur nous guide dans un monde « plein d’idées chrétiennes devenues folles »  comme l’écrivait le grand écrivain catholique anglais G. K. Chesterton."

     

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  • Régions : en avoir moins pour en avoir plus...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de Frédéric Rouvillois, cueilli sur Causeur et consacré au projet de redécoupage des régions, mollement annoncé par le Président de la République... Professeur de droit public à l’université Paris-Descartes, Frédéric Rouvillois est l'auteur de plusieurs ouvrages d'histoire des idées comme Histoire de la politesse (2006), Histoire du snobisme (2008),  tous deux disponibles en format de poche dans la collection Champs Flammarion, ou L’invention du progrès (CNRS éditions, 2010) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (Flammarion, 2011).

     

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    Régions : en avoir moins pour en avoir plus

    Michel Debré, le créateur de la Ve République, reconnaissait volontiers qu’il n’y a, dans l’ordre institutionnel, qu’un nombre restreint de problèmes, toujours les mêmes, et un petit nombre de solutions plausibles auxdits problèmes. Il n’aurait pas été surpris, par conséquent, de voir revenir sur le devant de la scène, à l’occasion de la conférence de presse du président Hollande, la vieille question des régions et de leur nombre, sur laquelle lui-même s’était penché à plusieurs reprises après la Libération.

    Aujourd’hui comme au début de la IVème République, à l’époque où Michel Debré écrivait l’essai qui le rendit célèbre, La Mort de l’État républicain (1947), tout le problème est celui de l’efficacité du découpage administratif – laquelle dépend très directement de l’étendue des collectivités territoriales. En 1947, Debré notait ainsi que «  l’étroitesse de notre division administrative ne permet plus de donner une vie active » aux départements » : notamment parce que les choses ont un peu changé depuis l’époque où l’Assemblée constituante décidait de découper la France en 83 départements  en fonction du temps nécessaire pour se rendre à cheval au chef-lieu de la circonscription. Méfiant à l’égard d’un retour aux régions, Michel Debré préconise alors – mais en vain -, une refonte en profondeur de la carte administrative, redécoupée en 47 grands départements. De nos jours, en fonction du même objectif d’efficacité et de rationalisation, on ne peut que s’interroger sur le maintien, contre vents et marées, d’une division en régions issue à l’origine de la loi Frey du 5 juillet 1972, laquelle avait alors découpé la France continentale en 21 Etablissements publics de coopération interdépartementale, transformés en régions par la loi Deferre du 2 mars 1982. Quarante ans plus tard, alors que la région s’est vue attribuer par l’article L. 4221 -1 du Code général des collectivités territoriales « compétence pour promouvoir le développement économique, social, culturel, scientifique de la région et l’aménagement de son territoire et pour assurer la préservation de son identité », comment pourrait-on se satisfaire d’une division établie sous la présidence de Georges Pompidou en fonction de considérations conjoncturelles, de tractations plus ou moins opaques et de négociations avec les satrapes politico-économiques locaux ? Comment s’en contenter alors que, de toute évidence, beaucoup de régions françaises sont manifestement trop réduites, et donc trop faibles, à la fois financièrement et démographiquement – 14 régions comptant moins de 2 millions d’habitants, et les trois départements du Limousin n’atteignant pas les 800 000 habitants, soit 15 fois moins que l’Île-de-France. En lui-même, mais aussi par comparaison avec les circonscriptions administratives de même niveau des autres grands Etats européens, le découpage de 1972 paraît donc franchement obsolète, n’étant plus ni cohérent, ni conforme à l’objectif d’efficacité qui, en la matière, devrait être seul pris en compte.

    Le passage de 21 à 15 ou 16 régions, évoqué par le Président de la République dans sa conférence de presse, correspond ainsi à une nécessité difficilement contestable : on notera que François Hollande rejoint ce faisant les projets développés dans l’entourage de son prédécesseur Nicolas Sarkozy à l’occasion de la révision générale des politiques publiques (RGPP) – l’un des meilleurs spécialistes de la question, le professeur Olivier Gohin, ayant ainsi suggéré en 2011 d’établir, en métropole, «  des régions moins nombreuses et plus vastes – une dizaine ». Les grands esprits se rencontrent.

    Quant aux inconvénients d’une telle rationalisation, ils sont imaginaires, ou dépassés.

    Imaginaires, notamment dans la mesure où les régions actuelles, issues de la loi de 1972, n’ont bien souvent aucune consistance, aucune identité historique ou culturelle. Les deux Normandie, par exemple, créées pour satisfaire les deux métropoles régionales que sont Rouen et Caen, rappellent plutôt ce fameux sketch des Monty Python où un alpiniste qui voit tout en double décide d’escalader les deux Kilimandjaro. Qui, par conséquent, pourrait s’y sentir suffisamment attaché pour regretter sérieusement une refonte de la carte ? Quant à l’argument de la proximité entre la capitale régionale et la périphérie, il faut bien reconnaître qu’il a perdu beaucoup de sa pertinence depuis la fin de la traction hippomobile et l’invention du téléphone – sans même parler du fait que l’on est rarement obligé de se rendre en personne au chef-lieu de la circonscription.

    De façon plus sérieuse (et plus politique), Michel Debré évoquait en 1947 la possibilité d’une montée des autonomismes, voire de tendances séparatistes : dans l’hypothèse où seraient créées des régions significatives et où renaîtraient par conséquent « les petits parlements de Bretagne, Languedoc ou d’Alsace, la grande qualité de la France, son unité indiscutée, risque(rait) d’être atteinte sans retour ». Si elle instituait des collectivités suffisamment vastes et puissantes, la régionalisation pourrait selon lui entraîner le glissement progressif vers une fédéralisation – alors que le risque serait nul avec des départements mêmes élargis, et faible avec des régions de petite taille. Cependant, si Michel Debré éprouve alors une telle crainte, c’est au vu de la situation politique générale – celle d’un État républicain moribond, exténué par le parlementarisme absolu de la IVème république, et par conséquent incapable d’empêcher d’éventuelles dérives. En revanche, il reconnait que le problème ne se poserait plus «  à l’intérieur d’une constitution présidentielle » – ni a fortiori, d’une « monarchie républicaine », comme celle qu’il contribuera à établir onze ans plus tard, avec la constitution de la Ve république.

    Et en définitive, le seul véritable obstacle à une telle réforme est celui que Debré fustigeait déjà du temps de Vincent Auriol : c’est celui qui résulte de l’immobilisme, du « conservatisme » des élites locales, de la crainte « de déranger un certain nombre d’habitudes ou d’intérêts » particuliers. Et le cas échéant, de la timidité d’un pouvoir qui n’ose pas imposer ses propres projets, même lorsqu’ils sont manifestement conformes au bien commun.

    Frédéric Rouvillois (Causeur, 17 janvier)

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  • Un président très ordinaire...

     

    Nous reproduisons ci-dessous un texte drôle et mordant de Frédéric Rouvillois, cueilli sur Causeur et consacré à la présidence «normale» de François Hollande. Professeur de droit public à l’université Paris Descartes, Frédéric Rouvillois est l'auteur de plusieurs ouvrages d'histoire des idées comme Histoire de la politesse (2006), Histoire du snobisme (2008),  tous deux diponibles en format de poche dans la collection Champs Flammarion, ou L’invention du progrès (CNRS éditions, 2010) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (Flammarion, 2011).

     

     

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    Hollande, un président très ordinaire

    A six heures moins dix, comme tous les matins, le radio réveil se mit à hurler, et François, à tâtons, dut s’y reprendre à trois fois pour le faire taire. Il ne voulait surtout plus d’embrouilles avec les voisins du dessus qui se plaignaient aigrement de ces réveils en sursaut et qui pour se venger taguaient régulièrement sa porte et sa boîte aux lettres. Le calme rétabli, François ouvrit un œil avec difficulté. La nuit avait été brève, et encore, il avait eu de la chance qu’un des gardes du corps puisse le véhiculer jusqu’à Bobigny. Lorsqu’ils étaient revenus de Bruxelles avec Pierre, Laurent et Arnaud, le RER ne fonctionnait plus, et la question de son retour nocturne l’avait perturbé pendant une bonne partie du Conseil européen. Il faut dire que ce n’était pas normal, tout de même, ces réunions qui se prolongeaient indéfiniment et se terminaient à point d’heure, longtemps après le départ de la dernière rame ou du dernier bus… C’est vrai aussi qu’il aurait pu utiliser, pour une fois, la Twingo officielle garée devant l’Élysée. Mais il avait toujours un peu peur de se faire vandaliser, même maintenant que la voiture avait été banalisée, repeinte en beige et dépouillée de tout insigne distinctif. Décidément, il valait mieux prendre les transports en commun.

    Émergeant doucement de son demi-sommeil, François se souvint à ce propos qu’il devait deux tickets à Raymond, le portier-adjoint de l’Élysée ; ce mois-ci, entre un G 20 à l’autre bout du monde, la guerre en Syrie qui se prolongeait, la sortie de la Grèce, la faillite de l’Espagne, les sommets européens et les Conseils des ministres en veux-tu en voilà, il n’avait pas eu le temps de recharger son passe Navigo cinq zones. Et il envisageait avec terreur l’idée de se faire contrôler en infraction par des agents de la RATP, vraisemblablement marinistes, qui seraient trop contents d’aller baver auprès de la presse de droite. Il imaginait d’ici les gros titres duFigaro ou de L’Express : « Mon président est un tricheur ! », « Ce n’est pas normal de ne pas payer son billet », « Le retour des privilèges », « L’Etat des passe-droits », etc, etc. Et hop, en un instant, des années d’efforts qui partent en fumée. Il préférait ne pas y penser. D’ailleurs, il fallait qu’il se dépêche un peu. Il se cala sur l’oreiller, essayant de repérer ses savates dans l’obscurité de la chambre. Celle-ci ne payait pas de mine, mais, justement, c’est ce qui avait plu aux reporters de Paris-Match. Ça et le lit IKEA, republican size, comme il disait parfois, qu’il avait eu tant de mal à monter après le départ de Valérie.

    Ça aussi, c’était normal. De nos jours, les couples ne durent plus, et honnêtement, il ne pouvait pas lui en vouloir, à Vava, d’avoir eu du mal à supporter la vie en HLM, les désagréments de la cité, les quolibets des vendeuses de l’hypermarché et le regard narquois de ses collègues venus photographier le F3 présidentiel avec vue plongeante sur le périph. La chambrette n’avait qu’un inconvénient, c’est qu’il risquait toujours d’égarer quelque chose dans ce désordre. Comme lorsqu’il était parti en car, l’autre semaine, pour se rendre au Portugal en visite officielle, et qu’il avait laissé la valisette nucléaire derrière le caddie rempli de packs de lait écrémé. Ou la fois où il était allé avec Laurent à Beauvais prendre un avion de la Ryanair pour Dakar, et qu’il s’était aperçu, rouge de confusion devant les douaniers goguenards, qu’il avait oublié son passeport. Maintenant, il en souriait, mais sur le moment, ça avait été terrible, il avait fallu appeler le Quai d’Orsay pour décommander la réunion avec le président sénégalais, et tout le toutim. Mais bon, c’est comme ça, on est normal ou on ne l’est pas.

    Dehors, sous la lumière blême des réverbères, les parkings de la cité étaient luisants de pluie et déjà noirs de monde. François entendit distinctement ses voisins du dessus, furieux d’avoir été réveillés une fois de plus par « le petit gros du douzième étage », comme ils l’appelaient. Et un bref instant, comme souvent les matins où il manquait de sommeil, il se dit que, quand même, il avait la belle vie, autrefois, avant de devenir président de la République.

    Frédéric Rouvillois (Causeur, 8 juin 2012)

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  • Mortelle cohabitation ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Frédéric Rouvillois, cueilli sur Causeur et consacré à la question de la cohabitation.Professeur de droit public à l’université Paris Descartes, Frédéric Rouvillois est l'auteur de plusieurs ouvrages d'histoire des idées comme Histoire de la politesse (2006), Histoire du snobisme (2008),  tous deux diponibles en format de poche dans la collection Champs Flammarion, ou L’invention du progrès (CNRS éditions, 2010) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (Flammarion, 2011).

     

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    Mortelle cohabitation

    Le problème de la cohabitation empoisonne la vie politique française depuis qu’en 1978, le président Giscard d’Estaing déclara qu’il resterait à l’Élysée en cas de victoire de la gauche aux élections législatives, et surtout, depuis qu’en 1986, Jacques Chirac, leader de la nouvelle majorité à l’Assemblée nationale, accepta de devenir premier ministre de François Mitterrand en vue de la présidentielle de 1988, mais au risque, assumé, d’abîmer en profondeur la Ve république. Avec ses chausse-trappes, ses pièges innombrables, ses poignards dissimulés dans des bouquets, ses byzantinismes et ses non-dits, ses jeux tortueux autour de la lettre et de l’esprit de la constitution, avec le capiteux parfum d’hypocrisie qui l’accompagne toujours, on conçoit que l’homme de Jarnac, le plus florentin de nos chefs d’État, dût en raffoler. Mais on imagine à quel point la couleuvre fut dure à avaler pour un Chirac qui se donnait encore, à l’époque, pour un gaulliste pur sucre, et qui se vit obligé, à trois reprises, de sacrifier ses convictions sur l’autel de ses ambitions. Et tel est encore le sentiment que donne le plaidoyer pour la cohabitation qu’Henri Guaino a fait paraître dans Le Figaro du 24 mai.

    Interrogé par un journaliste qui n’y va pas par quatre chemins en lui demandant carrément si la cohabitation n’est pas nocive, celui qui fut jadis l’homme lige de Philippe Séguin répond, un peu gêné : « C’est aux Français d’en décider ! Je n’imagine pas leur dire : « Ne votez pas pour nous, parce que la cohabitation, ce n’est pas bien.» Ce qui serait nocif, ce ne serait pas la cohabitation, poursuit Guaino, ce serait que les socialistes aient tous les pouvoirs pour appliquer leur programme. » Donc, qu’il n’y ait pas de cohabitation, laquelle, par comparaison, lui paraît bénéfique… En acceptant de se présenter aux élections, Guaino se condamnait à prendre de telles positions. Pourtant, nul doute qu’au fond de lui-même, il ait bien conscience que, dans le cadre de la Ve république, une telle cohabitation serait désastreuse à long terme, et sans grand intérêt à brève échéance.

    A court terme, en effet, les bénéfices politiques d’une cohabitation seraient peu significatifs. Elle aurait évidemment l’avantage, et ce n’est pas rien, avouons-le, de permettre aux personnalités éminentes qui siégeaient dans le précédent gouvernement, les Frédéric Lefebvre, les Éric Besson, les NKM, les David Douillet, les Benoist Apparu, de retrouver les maroquins dont une décision inconsidérée des Français vient de les priver indûment; peut-être même permettrait-elle à François Fillon de retourner à Matignon, ce qui aurait au moins l’intérêt d’apaiser la guéguerre des chefs qui se profile à l’UMP. Mais sur le fond, une telle cohabitation aurait surtout pour effet de « rétablir un équilibre », comme le soulignent fréquemment les ténors de la droite modérée, c’est-à-dire, en clair, d’instituer au sommet de l’État une situation de paralysie. D’un côté, en effet, le président de la république se verrait effectivement privé de la plupart des fonctions qu’il assume en temps ordinaire, lorsqu’il dispose d’une majorité à l’Assemblée nationale, et donc, d’un premier ministre et d’un gouvernement de la même couleur politique que lui. On retrouverait ainsi, pour cinq ans, la figure pathétique du roi fainéant telle que l’assuma Jacques Chirac entre 1997 et 2002. Mais en face, la droite modérée, majoritaire à l’Assemblée et en mesure d’imposer un premier ministre, se retrouverait elle aussi dans une situation inconfortable, dans la mesure où elle resterait par ailleurs minoritaire au Sénat.

    Dans ces conditions, elle ne pourrait pas réviser la constitution, et, par exemple, imposer la fameuse « règle d’or » : pour cela, il lui faudrait en effet l’appui du président et de la majorité du Sénat. Elle ne pourrait plus légiférer à sa guise par voie d’ordonnances comme elle en a pris l’habitude ces dernières années, les ordonnances exigeant la signature du chef de l’État. Elle se verrait, enfin, considérablement bridée en matière de politique étrangère et européenne, laquelle, même en période de cohabitation, relève en partie du domaine réservé du président. En somme, même à ne considérer que le court terme, une cohabitation ferait entrer la France dans un état de coma politique – jusqu’à ce que le Président se décide enfin à dissoudre l’Assemblée nationale. A tout cela, de bons esprits pourront évidemment rétorquer qu’une majorité de droite à l’Assemblée aurait au moins l’intérêt d’empêcher la gauche de réaliser son programme : certes, mais vu ce qui sépare objectivement le programme de la droite modérée post-sarkozyste de celui de la social-démocratie à la Hollande, on est en droit de se demander ce que cela change.

    Plus fondamentalement, alors que les avantages immédiats s’avèrent bien maigres, les inconvénients à long terme paraissent considérables – du moins, aux yeux de personnalités que l’on peut supposer attachées à l’héritage du général De Gaulle.
    Au regard du principe démocratique, d’abord, il paraîtrait assez choquant que le président, que la majorité du peuple vient d’élire afin qu’il puisse agir et gouverner, se trouve aussitôt dans l’incapacité d’assurer le mandat qui lui a été confié du fait d’élections législatives dont le résultat dépend largement des modalités du découpage électoral, des déséquilibres démographiques, de questions de lieux et de personnes, bref, des innombrables considérations locales ou conjoncturelles qui président à la désignation des 577 membres de l’Assemblée. Qu’on le regrette ou non, la valeur démocratique de l’élection présidentielle est sans commune mesure avec celle des législatives : c’est pourquoi il serait en définitive attentatoire au principe démocratique que celles-ci puissent invalider celle-là.

    Mais le pire est ailleurs : dans l’altération profonde de la fonction présidentielle et de la stature du chef de l’État qui résulterait inévitablement d’une cohabitation longue. C’est ce qu’ont pu constater les Français en 2002, lorsque Jacques Chirac fut réélu après cinq ans de cohabitation avec Lionel Jospin : à la place du président de plein exercice qu’ils avaient connu en 1995, ils se sont retrouvés avec un homme habitué à jouer les potiches et à inaugurer les chrysanthèmes, bref, avec un président paresseux qui laissera la bride sur le cou à Raffarin, à Villepin et à Nicolas Sarkozy. La cohabitation longue, c’est, à terme, le risque de voir renaître ce que l’on appelait dans les années 1950 « les délices et les poisons » du parlementarisme absolu et du régime des partis. C’est la possibilité de voir disparaître cette « monarchie populaire », selon le mot du général De Gaulle, qui constitue l’essence et fait tout l’intérêt de la Ve république.

    Au total, plutôt qu’une cohabitation forcément désastreuse, sans doute serait-il plus raisonnable de laisser à la gauche le risque de gouverner, à la droite, la possibilité de se recomposer, et à la Ve république, une chance de survivre.

    Frédéric Rouvillois (Causeur, 26 mai 2012)

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  • BHL, le FN et la dent d'or...

    Nous reproduisons ci-dessous  un point de vue de Frédéric Rouvillois, cueilli sur Causeur et consacré à la polémique autour du vote en faveur de Marine Le Pen.Professeur de droit public à l’université Paris-Descartes, Frédéric Rouvillois est l'auteur de plusieurs ouvrages d'histoire des idées comme Histoire de la politesse (2006), Histoire du snobisme (2008),  tous deux diponibles en format de poche dans la collection Champs Flammarion, ou L’invention du progrès (CNRS éditions, 2010) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (Flammarion, 2011).

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    BHL, le FN et la dent d'or

    Autrefois, quand il était philosophe, Bernard-Henri Lévy eut sans doute l’occasion de plancher sur l’un des textes les plus célèbres de Fontenelle, « La dent d’or ». L’histoire est aussi délectable que le style : « En 1593, le bruit courut que, les dents étant tombées à un enfant de Silésie âgé de sept ans, il lui en était venue une d’or à la place d’une de ses grosses dents. Horstius, professeur en médecine dans l’université de Helmstad, écrivit en 1595 l’histoire de cette dent, et prétendit (…) qu’elle avait été envoyée de Dieu à cet enfant, pour consoler les chrétiens affligés par les Turcs. (…) En la même année, afin que cette dent d’or ne manquât pas d’historiens, Rullandus en écrit encore l’histoire. Deux ans après, Ingolsteterus, autre savant, écrit contre le sentiment que Rullandus avait de la dent d’or, et Rullandus fait aussitôt une belle et docte réplique. Un autre grand homme, nommé Libavius, ramasse tout ce qui avait été dit de la dent, et y ajoute son sentiment particulier. Il ne manquait autre chose à tant de beaux ouvrages, sinon qu’il fût vrai que la dent était d’or. Quand un orfèvre l’eut examinée, il se trouva que c’était une feuille d’or appliquée à la dent, avec beaucoup d’adresse ». Moralité : « Assurons-nous bien du fait, avant que de nous inquiéter de la cause ». « Ainsi, nous éviterons le ridicule d’avoir trouvé la cause de ce qui n’est point. »

    Mais il y a belle lurette que M. Bernard-Henri Lévy fait autre chose que de la philosophie, et assez longtemps, sans doute, qu’il a oublié la salutaire leçon de Fontenelle. C’est en tout cas ce que semble confirmer un entretien qu’il vient d’accorder au site Atlantico : notre penseur officiel y raconte avoir découvert une dent d’or de fort belle taille –un parti « crypto-fasciste » nommé Front National -, avant d’en disséquer doctement les causes terrifiantes (pourquoi 18 % des Français ont-ils voté pour la bête immonde ?) et les épouvantables conséquences (les mêmes que dans l’Allemagne de 1933, la disparition de la démocratie). Le problème, une fois de plus, c’est que la dent n’est pas en or, et qu’il est donc assez « ridicule » de se demander pourquoi les Français ont voté pour un parti fasciste, dès lors que ledit parti n’est pas fasciste. Billevesées que tout cela, rétorquaient les « savants aux noms en us » épinglés par Fontenelle : la dent est bien en or ! En or, vous dis-je ! Et Bernard-Henri Lévy se montre aussi péremptoire à propos du fascisme qu’il prête au Front National.

    Ce qui indique, incontestablement, que la dent est en or, et le Front National, fasciste, c’est qu’ils en ont l’air, pardi. La dent, parce qu’elle brille au fond de la bouche, et le FN, « par sa rhétorique. Par ce ton de haine et de violence qui l’habite et qui ressort à la moindre occasion. Il l’est par la tonalité très « factieuse », par exemple, des attaques de Marine Le Pen contre le Président de la République. » « Je pense que c’est un Parti subtilement, mais profondément, anti-républicain »…
    Pour les mécréants, les Saint Thomas, à qui cette preuve indubitable ne suffirait point, BHL en avance une autre : les « gens » qui « gravitent autour du Front National ». Et de donner un exemple, « un seul (…). Il y en aurait tant d’autres – mais je ne vous en citerai qu’un », celui d’un « responsable régional du Front National dans le Pas-de-Calais » qui a « animé, semble-t-il », un site Internet sur lequel on trouve « une apologie de l’eugénisme, de la collaboration et de l’hitlérisme ». En l’occurrence, la précaution liminaire s’avère bienvenue : car ce « responsable », étudiant en philosophie âgé de 21 ans, n’animait pas le site en question – mais eut effectivement le mauvais goût de renvoyer, de sa page Facebook, sur les photos (très) coquines qui occupaient l’essentiel du site en question. Dès que la chose s’ébruita, le jeune gandin fut suspendu du parti par la commission de discipline, et privé à l’instant des (modestes) responsabilités qu’il exerçait au niveau local1. Procédure d’éviction manifestement plus rapide que celle qui, selon ces mêmes critères, aurait dû sanctionner Hortefeux dans l’histoire des Auvergnats.
    Comparaison n’est pas raison, dira-t-on : ce qui est certain, c’est que des brebis galeuses, il y en a partout, et ce qui importe, c’est la célérité avec laquelle on les écarte du troupeau. Mais notre ex-philosophe rétorquera sans doute que cela ne démontre qu’une chose : que le fascisme entend rester caché, et que sa rapidité à réagir dans cette affaire n’est qu’une preuve supplémentaire de ses mauvaises intentions.

    Troisième élément de preuve, pour les sceptiques les plus indécrottables : le fond du discours. Fasciste, « il l’est aussi par ses thèmes, son substrat idéologique », par « la diabolisation de l’IVG » et « le désir de revenir à la peine de mort », « le soutien à Kadhafi et aux dictatures arabes » ou « la haine des homosexuels ». Quant au caractère objectivement fasciste d’une hostilité (d’ailleurs très mesurée) à l’IVG, du refus de l’Europe fédérale, ou de la volonté de soumettre à référendum la question de la peine de mort, l’observateur reste un peu dubitatif. Cela prouverait surtout la relativité de la notion de fascisme, puisque ces positions étaient très précisément celles que défendaient jadis des fascistes aussi notoires que le général De Gaulle, Michel Debré ou Georges Pompidou : en bref, on devrait en conclure qu’une idée n’est pas fasciste, mais qu’elle le devient. Tout dépendrait du contexte et de l’époque : un constat qui ouvre à la philosophie politique des perspectives insoupçonnées. Pour le reste, quels sont les points qui, dans le projet présidentiel de Mme Le Pen, paraissent suspects de fascisme ? La laïcité ? Le recours aux mécanismes de la démocratie directe ? Le plaidoyer contre les élites ? Non ? L’immigration, alors ? En 1983, un fasciste sans le savoir écrivait que « l’immigration clandestine est considérable et insuffisamment combattue. Notre pays n’a plus les moyens de se montrer totalement ouvert en la matière. Il faut accentuer la lutte contre l’immigration clandestine et délictueuse par le renforcement de l’arsenal réglementaire répressif, la police des étrangers et le contrôle aux frontières », « encourager le retour au pays » et « effectuer le remplacement des immigrés, dans les postes libérés, par des chômeurs et des demandeurs d’emploi ». Ce fasciste inconnu s’appelait Alain Juppé2.

    Qu’ajouter, en somme, après cette démonstration définitive ? Que ce vieux farceur de Fontenelle avait raison de se gausser des faux savants. Pour constater que la dent n’était pas en or, et s’épargner bien des dissertations oiseuses, il suffisait de gratter un peu. Même chose pour le caractère fasciste du Front National. Que le parti de Mme Le Pen puisse être qualifié de populiste, très bien ; qu’il puisse même être considéré comme « extrémiste », pourquoi pas, même si ce genre de concept doit être manipulé avec la plus extrême prudence. En revanche, il est aussi fasciste, ou néofasciste, ou crypto fasciste, ou totalitaire, que la dent de Fontenelle était en or massif.

    Ce que cela signifie sur un plan politique ? Que la droite modérée reste libre de refuser toute alliance avec le Front National, parce qu’elle la jugerait contre-productive, ou inopportune, ou impraticable en raison des divergences qui l’opposent à ce parti sur certaines questions fondamentales, comme la construction européenne ou les orientations monétaires. Mais qu’elle doit cesser de le faire au nom de la mythologie inconsistante, et presque ridicule, dont BHL vient de s’autoproclamer une fois de plus le chantre et le héraut. Bref, qu’elle doit sortir enfin du piège où François Mitterrand l’a fait tomber au milieu des années 80. Ou, pour reprendre une image au dernier opus d’Elisabeth Lévy, qu’il lui faut dire adieu à la politique de l’autisme.

    Frédéric Rouvillois (Causeur, 30 avril 2012)

    1. Bruno Renoul – nordeclair.fr, 20 avril 2012

    2. Alain Juppé, La Double rupture, Club 89, Economica, 1983, p. 86

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  • Les snipers de la semaine... (38)

     

     

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur Causeur, Frédéric Rouvillois mouche le candidat-président Sarkozy et ses promesses de référendums...

    Don Juan des urnes

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    - sur Causeur, toujours, Jacques Déniel, directeur de cinéma, flingue The Artist, produit français suffisamment aseptisé pour bien s'exporter aux Etats-Unis...

    The Artist, une bluette compassée

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